On peut se demander pourquoi les maçons toulousains n’eurent pas recours au décor en terre cuite moulée avant le 19ème siècle, alors qu’il était utilisé depuis le 15ème siècle en Lombardie et le 16ème siècle dans certaines régions de France. Sans doute la particularité régionale que constituait le duo brique taillée et pierre sculptée donnait-elle toute satisfaction pour les décors architecturaux. Mais avec la création de la manufacture des frères Virebent en 1830 tout cela allait changer, et dans quelles proportions !
Avant les Virebent : Fouque et Arnoux
Depuis longtemps une imitation des sculptures en pierre pouvait être obtenue en moulant une pièce d’argile avant de la cuire, ainsi en France plusieurs manufactures pratiquaient-elles le décor de terre cuite moulée. Toutefois chaque pièce un peu complexe nécessitait une grande attention (voire même l’intervention d’un artiste sculpteur) et n’était par conséquent pas reproductible en grande quantité. Cela demeurait encore un travail d’artisan.
Cette pratique de la terre cuite moulée fut sans doute introduite à Toulouse au début du 19ème siècle par la manufacture Fouque et Arnoux. Venu de Provence avec de nouvelles techniques de travail de la terre cuite, le faïencier Jacques-Joseph Fouque fit valoir les arguments de sa production.
Un bel exemple du savoir-faire de Fouque et Arnoux est mis en évidence à la maison Lamothe (57 rue des Filatiers / place de la Trinité), dont l’architecte fut Urbain Vitry vers 1825-1827 :
Les frères Virebent et l’invention de la plinthotomie
On a vu le rôle qu’a joué Jacques-Pascal Virebent dans le paysage urbain toulousain avec la rubrique « les places à programme ». Eh bien ses fils ne furent pas en reste : ils créèrent en 1830 une manufacture dans le but de commercialiser des décors en terre cuite à bas prix.
Sous la direction d’Auguste, les frères Virebent inventèrent un procédé d’emporte-pièce révolutionnaire appelé plinthotomie, qui leur procura un énorme gain de productivité leur permettant de démocratiser le décor architectural par des prix bas et une qualité remarquable.
Vous imaginez bien que cette nouveauté fut mal reçue par les tailleurs de brique, dont l’activité séculaire se trouvait subitement menacée !
Les Virebent connurent un grand succès parmi les propriétaires privés, et de 1830 à 1860 surtout ils dotèrent la ville d’une très grande richesse en ornements de façade.
Les façades Virebent
Parfois les Virebent prirent en charge la décoration de façades entières. Il est frappant de constater que peu d’entre elles se ressemblent – même si on retrouve évidemment des éléments communs – et l’on comprend aisément le qualificatif d’ « éclectique » donné à l’architecture toulousaine de cette période.
Voici les plus notables du centre-ville.
Au 20 rue Lafayette
Malgré l’enduit couleur crème il s’agit bien de brique et de terre cuite :
Au 10 rue Peyras
Le décor, quelque peu noirci, est une copie de bustes du jubé de la cathédrale de Saint-Bertrand de Comminges :
Au 5 rue Baronie
La tourelle est bien en brique, on lui a appliqué un faux appareil de pierre :
Au coin de la rue de la Pomme et de la rue du poids de l’huile
Ici le décor est inspiré des colonnes de l’hôtel de Bernuy et, comme au 10 rue Peyras, de bustes du jubé de la cathédrale de Saint-Bertrand de Comminges :
Au 70 rue de la Pomme
Au 63 rue de la Pomme
Certains décors étaient faits de deux couches de terre : une argile rouge et grossière à l’intérieur, peu chère, et une pâte blanche plus fine et solide à l’extérieur, tel que le grès cérame qui donnait parfaitement l’illusion de la pierre :
Au 28 rue des marchands
Pour cette splendide façade destinée à sa belle-famille, Auguste Virebent fit une copie des cariatides de la tribune des musiciens du Louvre de Jean Goujon (1550) qui lui-même s’était inspiré des cariatides antiques du temple grec de l’Érechthéion :
Au 19 allées Jean Jaurès
Les décors en terre cuite
La plupart du temps toutefois les Virebent se contentaient de livrer des décors pour égayer des façades déjà existantes. Pour une somme assez modique, un propriétaire pouvait ennoblir sa devanture avec une frise et des chapiteaux, ou cacher ses gouttières avec des antéfixes.
Décors émaillés avec Gaston Virebent
La 3ème génération des Virebent fut personnifiée par le fils d’Auguste, Gaston (1837-1925), dont les goûts le portaient plutôt vers la terre cuite émaillée, les décors de table, les cheminées, ou encore le mobilier religieux. C’en fut alors bientôt fini de cette grande aventure des décors de terre cuite pour façades, toutefois Gaston Virebent réalisa en 1878 un superbe décor en céramique émaillée pour le tympan du portail Renaissance de l’église de la Dalbade, reproduction d’un chef-d’œuvre de Fra Angelico : le couronnement de la Vierge.
Pour donner une idée de l’ampleur de ce décor : chaque personnage a à peu près la taille d’un homme.
La manufacture Giscard
Ancien mouleur-statuaire des Virebent, Jean-Baptiste Giscard décida de se mettre à son compte en 1855. Au 25 avenue de la Colonne se trouve sa fabrique, désormais désaffectée, avec ses spectaculaires façades qui servaient en quelque sorte de publicité. Le dernier héritier Giscard, Joseph, a fait don à son décès en 2005 de sa maison à la ville, un legs d’autant plus précieux que la manufacture Giscard avait racheté en 1968 les moules des Virebent… tout un pan de l’histoire de Toulouse avec la terre cuite est ainsi à disposition de la ville et n’attend qu’une mise en valeur.
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