Histoires de pouvoir
A partir du 12ème siècle le pouvoir que les comtes de Toulouse détiennent sur la ville qui est leur capitale diminue (rappelons que leur territoire va de la Garonne au Rhône).
En 1147, des notables toulousains parviennent à obtenir l’accord du comte Alphonse Jourdain pour la création d’un consulat, dont les consuls furent vite appelés capitouls, chargé de l’administration de la ville.
En 1188 les capitouls arrachent encore aux comtes des prérogatives et notamment leur autonomie, et voilà la ville transformée en République !
Au 13ème siècle la croisade contre les cathares met fin à cette relative indépendance. Le pouvoir royal récupère le territoire des comtes et crée la province de Languedoc. Les nouveaux comtes de Toulouse n’ont alors plus de lien avec l’ancienne lignée éteinte, ils sont désormais parisiens et leur titre est surtout honorifique, ils n’influeront plus sur la vie de la cité.
Au 15ème siècle un nouveau pouvoir s’installe à Toulouse, et contrarie plus souvent qu’à son tour les desseins des capitouls : le Parlement de Toulouse. C’est ainsi que noblesse de robe (les parlementaires) et noblesse de cloche (les capitouls) deviennent des rivaux jusqu’à la Révolution qui met fin aux deux institutions.
Le Parlement de Toulouse
En 1443, après un premier essai de 1420 à 1428 torpillé par des intrigues du Parlement de Paris, le roi Charles VII fonde à Toulouse le deuxième parlement de France après celui de Paris. Ce parlement étend son influence de l’Atlantique au Rhône et des Pyrénées au massif central. Il a compétence sur les affaires judiciaires mais aussi économiques, politiques, administratives… aucune disposition légale ne peut s’appliquer dans le Midi de la France sans avoir été enregistrée par le Parlement, il ne se gêne donc pas pour fourrer son nez dans les affaires des capitouls et les contrarier à l’occasion.
La création de ce parlement répond à un besoin : le sud de la France est une terre où l’on parle la langue d’oc, et non la langue d’oïl comme dans le nord, et surtout il est régi par le droit romain écrit, alors que le nord du pays obéit au droit coutumier oral des Francs. Tout cela faisait du Parlement de Paris une instance peu pratique pour rendre la justice (en appel) dans la France méridionale.
Bien que les bâtiments actuels datent des 19ème, 20ème et 21ème siècles, il reste quelques vestiges du Parlement de Toulouse, remplacé à la Révolution par le Palais de Justice.
Cette sculpture faite dans la brique dément les propos que j’ai tenus dans la rubrique « la brique foraine » en disant que celle-ci ne se sculptait pas comme la pierre . Il s’agit cependant d’une exception du 19ème siècle.
Les arcs brisés du 15ème siècle de la grand’chambre ont été mis en valeur dans le hall d’accueil :
L’intérieur de la grand’chambre et son plafond à caissons (refaite vers 1830) :
Une partie du mur d’enceinte médiéval a été conservée dans le hall :
Dans la crypte archéologique se trouvent les fondations du Château narbonnais, résidence des comtes de Toulouse depuis 1155. Comme les comtes rendaient la justice en leur château, on peut donc établir que ce lieu sert à ce même usage depuis le 12ème siècle au moins :
Au moins deux autres chambres du 17ème siècle ont un intérêt historique : le salon doré et le salon d’Hercule, qui valent par leurs remarquables plafonds à caissons sculptés. Je n’en ai pas de photos personnelles car elles sont fermées au public mais on peut les admirer, ainsi que d’autres salles patrimoniales, dans une très intéressante visite guidée faite par le Ministère de la Justice : film de 9 minutes.
Je mets ici quelques copies d’écran tirées de ce petit film pour ceux d’entre-vous qui n’auraient pas le temps de le regarder :
Le plafond du salon doré :
Le plafond du salon d’Hercule :
Le Capitole
Le siège du pouvoir municipal est situé au même emplacement depuis 1190, le bâtiment actuel comporte des éléments du 16ème siècle, du début du 17ème siècle, et sa monumentale façade de brique, de pierre et de marbre date de 1760. Sa décoration intérieure a été conçue à la fin du 19ème siècle comme un vaste programme destiné à mettre en scène l’histoire de la ville.
Les capitouls
On ne peut explorer l’hôtel de ville sans aborder le rôle des capitouls, consuls chargés par les comtes de Toulouse d’administrer la ville. Au cours de leur longue histoire (de 1147 jusqu’à la Révolution, soit près de 650 ans) leurs prérogatives varièrent. Leur nombre aussi même s’il finit par se fixer à huit, chacun représentant un des huits capitoulats de la ville (sortes d’arrondissements avant l’heure). Les capitouls étaient élus pour un an, avec le temps leur charge finit par devenir anoblissante et était convoitée par les plus grands marchands et les plus éminents citoyens de la ville.
En 1190 le chapitre des capitouls se fixa à l’emplacement de l’actuel Capitole, à la frontière de la Cité (la vieille ville bâtie sur son emprise romaine) et du Bourg (le nouveau quartier autour de Saint Sernin) et loin du siège du pouvoir comtal situé au sud de la Cité. Ils finirent en 1750 par donner corps à une vieille idée qui les travaillait depuis longtemps : doter leur maison commune d’une façade monumentale propre à rehausser leur prestige et à en imposer à leurs rivaux du Parlement. Celle-ci fut terminée en 1760 par Guillaume Cammas, elle unifiait en apparence des bâtiments restés disparates derrière elle (eux-mêmes remaniés ultérieurement).
La robe des capitouls était rouge et noir, couleurs reprises par le Stade toulousain en référence à ces derniers :
Le Capitole
Sous le fronton 8 colonnes en marbre incarnat symbolisent les 8 capitouls qui administraient la ville :
Dans la cour centrale, appelée cour Henri IV, se trouvent les plus vieux éléments architecturaux du bâtiment :
On doit le portail oriental au ciseau de Nicolas Bachelier (1546), le « maître de la Renaissance » à Toulouse. La déesse Pallas est entourée de deux figures féminines, l’une portant un bâton avec la croix du Languedoc, l’autre brandissant une couronne de lauriers et une branche fleurie :
La représentation de Pallas (autre nom de Minerve, ou Athéna) illustre le fait que l’empereur romain Domitien donna à la ville le titre de Palladia Tolosa car elle était réputée dans le monde romain pour la qualité de son enseignement, la plaçant ainsi sous la protection de Pallas-Athéna, déesse de la sagesse. De nos jours il arrive encore que Toulouse soit désignée par les érudits comme « la cité palladienne » :
Le haut du portail a été sculpté par Geoffroy Jarry en 1561. On peut y voir notamment des esclaves entravés, pour symboliser la puissance de Toulouse en tant que capitale de la province du Languedoc (titre partagé avec Montpellier à partir de 1730 dès lors que cette dernière ville récupéra le siège jusqu’alors tournant des États du Languedoc) :
La devise en latin dit ceci : Hic Themis dat jura civibus, Apollo flores camoenis, Minerva palmas artibus, « Ici Thémis donne la loi aux citoyens, Apollon les fleurs aux poètes, Minerve les palmes aux artistes ».
Une statue en marbre polychrome du roi Henri IV trône au-dessus du portail, elle est protégée par un auvent de style mudejar peint en 1610 :
L’intérieur du Capitole
Au bas de l’escalier d’honneur, cette peinture représente le comte Raymond VI de Toulouse confronté à son excommunication, laissé à la porte de l’Église. Habile politique, il parvint longtemps à retarder ou à retourner les sanctions du pape à son égard. Mais le catharisme faisait trop peur à l’Église de Rome et la volonté manifeste du comte de ne pas se mêler d’affaires religieuses lui valut de mourir excommunié.
La peinture ci-dessous représente la toute première session de l’Académie des Jeux floraux en 1323, la plus ancienne institution littéraire d’Europe.
Toutes les salles peintes du Capitole datent de la fin du 19ème siècle, les peintures sont l’œuvre d’artistes toulousains tels Paul Gervais, Benjamin Constant, Henri Martin…
Ici l’ancienne salle des mariages, peintures sur le thème de l’amour :
La salle Henri Martin possède de lumineuses toiles de ce grand peintre, celle-ci par exemple a inspiré Dali :
La salle des Illustres est la plus majestueuse. On y trouve des représentations de divers fameux toulousains, d’évènements historiques ou d’allégories :
Cette peinture représente le Pape Urbain II entrant dans la ville en 1096 pour y prêcher la 1ère croisade. Le soldat qui guide son cheval incarne le comte de Toulouse, Raymond IV (aussi connu comme Raymond de St-Gilles). Raymond IV fut l’un des chefs de la croisade, et pas le moindre : une fois celle-ci menée à bien il était favori pour devenir Roi de Jérusalem, honneur qui semblait bien devoir lui revenir eu égard à sa constance et au fait qu’il commandait le plus gros parti militaire. Mais soit par choix personnel, soit que des intrigues politiques l’en écartèrent, il préféra finalement aller se tailler un fief du côté de Tripoli, au Liban :
La salle du conseil municipal :
Derrière le Capitole demeure un bâtiment de l’ancien Capitole, il s’agit d’une tour du 16ème siècle, appelée à tort donjon. Eugène Viollet-le-Duc, avec sa fertile créativité habituelle (sans doute trop peu respectueuse des traditions locales…), la restaura au 19ème siècle en la coiffant d’un beffroi flamand !
Une inscription en latin gravée dans la pierre indique la création de ce bâtiment par les capitouls en 1525 :
Cliquez ici : lien vers la page suivante : les décors en terre cuite Virebent.